, UN RÉCIT SUR UNE UNE IDÉE DE Christian DISANDRO
Je fais ma rentrée des classes en CM1 dans ma nouvelle école. J’ai le stress, je suis un peu dans le registre de Titeuf en route vers le bagne. Je prends donc le chemin de l’école, un poil inquiet, j’ignore comment je vais être reçu par le nouveau maître et tous ces élèves inconnus. Je ne vais pas être déçu.
Cette école est bizarre.
Normal, ce n’est pas une école !!!!!!!!
Il y a bien une école primaire à Bourg, allure victorienne, imposante, massive, avec deux ailes latérales reliées par un corps de bâtiment central, entourée par ses cours de récréation, elle accueille les filles et les garçons, mais séparés les uns des autres, avec ségrégation sévère pour éviter les embrouilles, une usine à savoir des temps modernes ; mais, problème majeur, en ces années du début des années soixante elle est trop petite pour les effectifs mobilisés. Les générations du baby-boom arrivent sur le marché de l’instruction, élèves en grand nombre, un flux abondant d’impétrants se renouvelle chaque année et congestionne les locaux qui ne suffisent plus. D’autant que cette école accueille en surnuméraire les collégiens de la sixième jusqu’à la troisième pour cause d’absence de collège.
Impossible de stocker l’intégralité des élèves entre ses murs. L’école est remplie à bloc, comme un œuf, plus moyen de stocker la totalité des minots.
Les effectifs de deux générations de garçons ne trouvent pas de place, les CM1 et CM2. Ces deux classes sacrifiées sont déclarées indésirables dans l’école primaire et sont exfiltrées vers d’autres lieux. (On notera que seuls les garçons font les frais du problème, les filles sont épargnées, sexisme.)
En fait, les pouvoirs publics ont pris le taureau par les cornes, ils ont décidé la construction d’un collège flambant neuf, le collège Saint Exupéry ; mais au printemps 1964 il est en fin de construction et il n’est pas opérationnel, il ne sera inauguré qu’en septembre.
Il faut trouver une solution au problème. Trois solutions auraient pu être envisagées pour les garçons en surnombre :
Soit ils ne vont pas à l’école pendant un an, (moi je serais d’accord).
Soit ils étudient pendant la nuit dans les salles désertées, (difficilement concevable).
Soit on leur trouve un autre point de chute.
Le dilemme fut tranché, la municipalité a loué une maison particulière en contrebas de l’école, rue Bourgeat, à deux cent mètres de notre vraie école. Ce sera notre annexe.
Ce lieu exotique, hors les murs, est sympa ; au rez-de-chaussée une grande salle pour les CM1, donc ma classe, à l’étage une deuxième salle pour les CM2. (Pour les WC je ne me souviens plus, peut-être pas de WC, le petit savoyard est rustique).
Mais problème, où aller pour la récréation ? Facile : pour chaque récréation, matin et après-midi, les maîtres nous cornaquent sur le chemin de la cour d’école, pédestrement, juste deux cent mètres de distance, à l’aller, autant au retour. Pas rigolo si pluie ou neige, mais là encore le petit savoyard est un dur. Nous transitons par une ruelle en pente, étroite, bucolique, encadrée par des murets et des jardins, nous arrivons vite fait sur notre lieu de rigolade ; juste perdu cinq minutes ; pas pris sur le temps de la récré, non, pris sur le temps des cours, donc pas grave. On aurait pu figurer dans un film de Tati, aussi délirant.
Sur le chemin de la récré j’observe une caractéristique intéressante qui rappellera de vieux souvenirs aux anciens de Bourg. En face de l’école annexe se trouve l’ancienne gendarmerie et une ferme encore en activité, avec sa cour, ferme presque enclavée dans le village ; sur le fronton de la bâtisse une incroyable collection de petites plaques ovales colorées de concours agricoles, récompenses attribuées lors des comices aux plus belles vaches du secteur, probable que cet éleveur était un sacré champion pour l’élevage vu son énorme collection (je crois que c’était la famille Juglaret, à vérifier).
Je découvre mon nouveau maître. Il s’appelle Monsieur Micol. Pour lui la retraite n’est plus très lointaine, il a dû naître avec le siècle. Il est intéressant d’apparence. Il porte une blouse grise à l’ancienne, et est coiffé en permanence d’un béret. Il présente un beau profil de montagnard et parle avec un charmant accent que je ne connais pas. Marcel Pagnol se serait régalé à le décrire. Mais ce maître présente une singularité, il est gentil et pas contrariant, avec lui pas de piquet ou de grosses punitions, point de taloches, de coups de règle sur les doigts, de bonnet d’âne, il faut dire que ses élèves sont sages et attentifs. Sa pédagogie est tranquille et à l’ancienne ; il ne fait pas dans le modernisme. Heureusement pour lui que l’informatique est arrivée bien plus tard, il aurait été un peu dépassé.
La classe est non mixte, ce qui évite les rêveries inutiles, on peut se concentrer sur les études. A Bourg l’école primaire est non mixte, les autorités municipales en charge de cette institution estiment préférable de ne point mélanger les petites poulettes locales avec les coquelets, donc ségrégation stricte. Même dans la cour de récréation nous
sommes séparés par une enceinte infranchissable, muret et grillage, (pareil au catéchisme), on regarde les copines à la longue vue ; par-dessus un muret infranchissable les petits poussins observent attentivement les petites poussines, bien sages dans leur basse-cour, et ces jeunes coquelets timides languissent de les retrouver dans un an au collège. Mes nouveaux copains sont sympas, je m’intègre vite. Je provoque involontairement une révolution culturelle au sein de cette classe. Depuis le CP, le cador scolaire local s’appelle Bernard Anselmo, inamovible premier de la classe, un excité des études, lui il aime ça, un anormal. Contraste avec moi qui ne peut supporter d’aller en classe depuis la maternelle. Je suis rebelle à cette institution scolaire qui entrave ma liberté de bambin et j’apprends sous la contrainte. Sur injonction paternelle je travaille dur, mais à mon corps défendant.
Les grands du collège présentent une belle pièce inspirée de « Pierrot et le Loup », sur la musique de Prokofiev. Ce fut impeccable, et ils ont mérité une belle ovation.