Compte-rendu de la réunion du collectif citoyen du 12 janvier 2015 à la salle des fêtes de Bourg Saint MauriceCette réunion a rassemblé une quarantaine de personnes
1) préambule :
M. Levardon remercie la commune de Bourg St Maurice pour le prêt de la salle des fêtes et salue Mme Jocelyne POBEL, Adjointe, cette dernière présentant les excuses de M. Le Maire, des autres adjoints et des conseillers municipaux tous retenus par une réunion du Conseil Municipal, et devant elle-même se retirer rapidement pour ce motif.
Il présente l’historique du collectif et les objectifs de cette réunion.
Historique du collectif citoyen :
en apprenant l’attentat de Charlie Hebdo le mercredi 7 janvier 2015, de nombreuses personnes ont été profondément interpellées sentant que quelque chose de grave s’était déroulé concernant non seulement la France, mais le monde, en tout cas le Moyen-Orient et l’Afrique. Quatre personnes disponibles, Jean-Marc Anxionnaz, Jean-Marie Berthier, Salwa Risk-Muller et Joseph Mougel, se sont rapprochées et ont pris contact avec leurs réseaux respectifs. D'autres réseaux déjà bien organisés notamment ceux qui avaient été créés par Simone Gaidet et Pierre Villeneuve s'y sont joints très rapidement, de même que les réseaux professionnels ou syndicaux, comme par exemple ceux des moniteurs de ski et des pisteurs-secouristes. Rappelons que le même jour des manifestations spontanées ont eu lieu à Moûtiers, Grenoble, Bordeaux…
jeudi 8 janvier, les réseaux ayant très bien fonctionné, entre 600 et 700 personnes se sont retrouvées sur la place de la mairie de Bourg St Maurice en présence des élus du fait de la journée de deuil national. Des représentants de toutes les générations et de toutes les catégories furent présentes, y compris des touristes de passage, même si un certain nombre d’entre elles étaient et sont probablement toujours loin de se reconnaître dans l’hebdomadaire « Charlie Hebdo » lui-même
craignant que cet événement entraîne des manifestations de haine en retour contre des ressortissants du Maghreb, du Moyen-Orient de tradition musulmane ou contre les étrangers, l’idée germe rapidement de créer un collectif de réflexion, d’action et de vigilance afin de rechercher une réponse positive à ce qui venait de se passer
des rassemblements ont eu lieu également à proximité de Bourg St Maurice, en particulier à Séez et Ste-Foy-Tarentaise. Ainsi des habitants du hameau de la Mazure ont spontanément organisé une marche jusqu’au chef-lieu de la commune
suite à cela, des parents d’élèves de l’école primaire de Ste-Foy, regroupés notamment dans l’association « Tremplin », ont invité à une rencontre le vendredi 16 janvier par un petit texte dont voici quelques extraits :
« Les événements tragiques à Paris la semaine dernière nous ont tous choqués d’une manière ou d’une autre et nous donnent à réfléchir dans quel monde nous, et surtout nos enfants, voulons vivre demain
L’objectif de cette libre tribune sera d’écouter les opinions et les idées de chacun, pour voir ce que nous pouvons apprendre les uns des autres, et trouver ensemble les actions qui porteront notre conviction commune en la liberté, la fraternité et l’égalité mondiale.
Pour orienter cette discussion, nous vous proposons une réflexion en complétant la phrase suivante « la réponse locale, nationale et internationale à l’attaque de Charlie Hebdo devrait considérer ce qui suit… » »
La réunion de Ste-Foy a été riche et a permis notamment de comprendre par les personnes présentes combien les parents d’élèves – et donc leurs enfants – sont à présent d’origine, de langue et de culture très diverses, ce qui est en soi le symbole de notre monde actuel. La présente réunion en est donc le prolongement.
Il est rappelé que, pour le moment, le collectif, n’est pas une association et qu’il n’est ni un parti politique, ni un syndicat et que ses membres s’expriment en leur nom personnel indépendamment de leur profession ou de leurs autres engagements antérieurs ou présents.
Objectif de la réunion :
Proposer un moment de libre parole autour des événements de Charlie Hebdo et du 7 janvier pour se nourrir de la réflexion de chacun dans le respect de la tolérance, de la laïcité et de la liberté d’expression.
S’interroger ensemble sur les actions à mener localement pour favoriser le vivre ensemble au niveau local.
2) Pour introduire la discussion deux courts extraits de vidéos en lien avec les événements sont proposés :
Interview réalisée le 10 janvier de Boris Cyrulnik, célèbre psychiatre français qui a fait connaître l’idée de résilience (le 10 janvier rappelant le jour où il a été lui-même raflé, à l’âge de 6 ans et demi, comme membre d’une famille juive, à Bordeaux le 10 juin 1944 sur dénonciation d’un autre français ; rappelons que s’il a pu échapper à cette rafle, ses parents sont morts en déportation).
Boris Cyrulnik attire l’attention sur le fait que les frères Kouachi (au moment de l’interview on ne connaissait pas encore le dénouement de l’hypermarché casher de Vincennes) issus d’une famille abandonnée de tous, ont été sélectionnés pour leur détresse psychique, entrainés militairement à tuer, puis délibérément sacrifiés par des groupes (issus, à son avis, des milieux du pétrole et de la drogue) ayant la volonté de déstabiliser le monde, ce avec des méthodes et des objectifs très comparables à ceux de l’Inquisition qui a sévi en Europe pendant 6 siècles jusqu’au 19ème siècle et, plus proche de nous, du nazisme.
Interview de l’économiste Bernard Maris, l’une des personnes assassinées dans la rédaction de Charlie Hebdo, sur sa conception de la laïcité et de la fraternité et les menaces qui pèsent sur elles du fait, en particulier, de la consommation comme mode principal de la vie collective.
Bernard Maris nous dit que la laïcité ne s’oppose pas aux religions ; elle est au contraire une condition du « vivre ensemble » et que face aux dangers que l’excès d’égalité peut faire courir à la liberté, les révolutionnaires de 1789 ont mis en avant la notion essentielle de fraternité. Mais que celle-ci est gravement mise en danger de nos jours par la consommation comme seule réponse aux besoins fondamentaux de l’être humain (smartphones et argent de poche donnés aux enfants de plus en plus jeunes…), ce type de réponse étant lui-même générateur de violence.
3) Présentation par Mme Véronique Gensac professeure de philosophie au lycée de Moutiers de son diaporama sur la tolérance et la laïcité :
Tolérance et laïcité une longue histoire…
Une histoire liée à celle des Etats et des religions
La sombre période de l’Inquisition
L’émergence du protestantisme : la liberté de conscience, d’abord conçue comme autorité de la parole divine.
Les guerres de religion
Le siècle des lumières : Définitions de l’intolérance et du fanatisme …
Début de la séparation de l’église et de l’Etat (de la foi et de la raison)
On pourrait résumer l’émergence de la tolérance et de la laïcité comme la conquête de la liberté de résister à la domination voire à l’oppression d’un pouvoir à la fois politique et religieux.
4) Temps de libre parole :
Suite à ces trois présentations la parole est donnée à la salle, dont on essaye de traduire l’essentiel ci-après :
« Dans les clubs sportifs, les éducateurs font du bon boulot, mais lors des matchs nous sommes confrontés certaines fois à de pénibles confrontations (racisme, injures...). Quelle attitude à tenir à ce moment là ? Comment faire pour enseigner aux enfants le respect malgré tout ? Comment contenir des propos d'adultes qui peuvent vite devenir haineux ? C'est là une mèche à éteindre »
Maurice, prêtre à la paroisse catholique de Bourg St Maurice rappelle l’importance que le Concile Vatican II (1962-1965) a eu dans l’histoire de l’ouverture de l’Eglise et que, actuellement, avec le Pape François « L’église s’ouvre vers les autres, vers les autres religions, une nouvelle vision émerge. »
« C’est la confusion entre pouvoir politique et pouvoir religieux qui a créé ces événements »
L’importance du droit et de la réflexion sur le droit : « Une responsabilité incombe au droit du numérique qui n’est malheureusement peu ou pas enseigné, il faudrait intervenir auprès des lycéens pour éduquer au numérique et développer un esprit critique !! Quels enfants sommes-nous en train de «fabriquer » ? L’outil numérique, même si il a des bons côtés, uniformise les pensées et rejoint en cela la pensée paresseuse dénoncée par M. Cyrulnik d’autant plus qu’on n’a pas de véritable garantie en ce qui concerne les sources (ex : l’abus de l’utilisation de wikipédia). Nous vivons une époque charnière allant vers le tout numérique qui se fera au détriment de la rencontre et de la diversité des cultures et des valeurs de chaque communauté. Le numérique peut aboutir à occulter la conscience humaine. Au niveau de l’implication locale il faut créer des événements qui rassemblent les différentes cultures pour amoindrir la crainte et la méconnaissance de l’autre… » « L’Education Nationale devrait renforcer son éducation à l’image »
« Attention effectivement à l’image : ne pas croire aveuglément ce que l’on voit, il faut un esprit critique et apprendre à décrypter les images pour comprendre leur véritable message. En ce qui concerne les caricatures, si l'analyse de leur sens véritable n'est pas correcte, il y a danger ; les dessinateurs de Charlie ont hélas pu le vérifier ».
« La caricature c’est accepter le regard critique de l’autre, attention de ne pas transformer les victimes en coupable, il faut être formé a l’analyse de l’image pour comprendre le dessinateur car une caricature est nécessairement un raccourci de la pensée, et on peut très facilement comprendre le contraire de ce qui est proposé »
Une interrogation dans l’assistance : « Attention à la caricature, a-t-on le droit de tout caricaturer ? »
« OUI », répond l’un. Mais lorsque le journal danois a publié les « caricatures de Mahomet » en 2005, lorsque Charlie Hebdo les a repris, ces deux journaux ont-ils eu suffisamment conscience de leurs responsabilités, de ce qu’impliquaient ces caricatures en dehors de l’Europe, dans le reste du monde ?
« La liberté doit avoir une frontière (le stylo peut tuer) il existe en France un déficit d’explication de ce que sont les religions. Dans notre société il est difficile de se regarder ; il faut apprendre à aller vers les gens quelque soit leur religion, leur origines. Le problème, est la peur de l’autre ou peut-être une méconnaissance de l’autre. »
« Il faudrait s’efforcer de connaître les différentes civilisations du monde pour mieux les prendre en compte
« Pour ma part, l’origine de cet événement, c’est la misère sociale, donc la question se pose : que faire ? »
« La responsabilité des médias, est largement impliquée ; ils jouent un rôle anxiogène. Notre responsabilité à nous est de mettre en valeur les actions positives et locales en créant des liens entre les associations et les communautés. La Tarentaise regorge d’initiatives associatives : plus de 200 à Aime, et environ 100 à BSM. Malheureusement, elles sont toutes liées à des initiatives personnelles et ne font que rarement l’objet d’une véritable politique communale ; il faudrait créer une véritable maison des associations pour mettre en synergie toutes ces bonnes volontés. »
« J’ai rencontré une personne, qui m’a dit « ce ne sont pas les rivières où notre vallée qui sont polluées, ce sont nos consciences : chaque fois que l’on entend un message négatif, on gonfle le négatif et on ne peut de ce fait aller vers l’autre. La solidarité n’existe que peu en Tarentaise, les stations sont concurrentielles entre elles, et cette « vitrine » du capitalisme, tue la possibilité de la relation humaine ; les stations de Tarentaise sont dures entre elles, je n’ai pas peur de parler de terrorisme économique. » »
« La misère est très présente en Tarentaise, un chômage qui augmente, 200 familles à « Coup de pouce », des problèmes récurrents des saisonniers pour se loger, des demandeurs d’asile existent. »
« Dans la vallée, il existe une part de désert social, une déscolarisation élevée des élèves, certains jeunes peu diplômés ont souvent la crainte de quitter la vallée. Ceci est renforcé par le fait que les intéressés ont l’impression que, de toute façon, ils pourront assez facilement gagner leur vie dans la vallée ce qui ne favorise ni le goût des études supérieures ni le désir de découvrir d’autres milieux, d’autres régions, voire d’autres pays.
« Un autre problème est l’absence de véritable culture en Tarentaise. Même si des efforts sont réalisés, elle est encore trop absente (à travers les arts plastiques et toutes les formes d’expression) il faut créer un lieu d’échange et de rencontre qui permettrait de progresser, de comparer et de montrer que nous sommes tous différents. Apprendre que l’autre est différent, c’est l’accepter et ne pas le juger. »
« Il est vrai que la création « est un merveilleux moyen sortir de soi, en ôtant la peur du regard de l’autre. »
« Je voudrais attirer l’attention sur la pratique de ce que je pourrais appeler « la révolution intérieure », sur la formation à la non-violence et aux techniques de la médiation »
« L’école est souvent mise en cause, mais attention de ne pas oublier la responsabilité essentielle des parents avant l’école et en dehors de l’école. C’est à eux qu’il appartient de transmettre les valeurs essentielles et le sens.
« L’important c’est le vivre ensemble solidaire, il faut faire comprendre l’intérêt et susciter le désir de sortir de soi. Je propose la création de deux aides au niveau local :
- sur l’agriculture, pour pérenniser son avenir économique et sauvegarder son activité.
- le chômage, les jeunes chômeurs de la vallée sont isolés, il leur faudrait un endroit d’écoute, de réel service en tarentaise et d’accompagnement a travers des actions solidaire et bénévoles. »
« Il faut utiliser tous les moyens disponibles pour rapprocher les communautés, par exemple des films ou des documentaires faisant l’objet d’un débat. J’ai eu l’expérience personnelle de la projection d’un film sur les harkis. J’ai découvert qu’il avait dans la salle plusieurs personnes qui en avaient fait partie. Il s’en est suivi un échange très intéressant ».
Il faut multiplier les actions simples mais proches de la population. Les petits cours d'eau font les grandes rivières...
5) Que mettre en place au niveau local pour faciliter le vivre ensemble et l’acceptation de l’autre. ?
Les mots clés qui ressortent de cette synthèse sont : le vivre ensemble, connaissance de l’autre, solidarité, culture et formation.
- Des actions locales de proximité :
Café parole : temps d’échange réguliers avec un ou deux voisins pour les rencontrer, et mieux ce connaitre.
Café philosophique : ouverte a toutes les communautés de BSM.
Rencontres intercommunautaires : foot, repas festifs…
- Des actions solidaires :
Accompagnement des jeunes chômeurs,
Semaine de la solidarité…
- Formation :
Eduquer les ados et les grands aux dangers du numérique
Formations sur la lecture des images et les caricatures...
Formation des encadrants d’associations aux réactions à avoir face aux dérives de langage raciste
Formation des élèves dans les écoles à une culture de la communication non violente (projet d’école)
Conférences - échanges, comme à l’EAC d’Aime à destination des parents
- Culture :
Il semble nécessaire de concrétiser une véritable politique associative et culturelle :
Création d’une maison des arts, de la culture et de l’initiative citoyenne ou du vivre ensemble
Création d’un véritable village des associations mettant en relation réelle les nombreuses énergies et volontés présentes dans la vallée…
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Cette réunion s’est terminée par la lecture d’un court poème du Syrien Nizar Kabbani (1923-1998) « Ne vous en déplaise »
6) Conclusion de la soirée :
Vers 21H30. Il est proposé aux personnes présentes de laisser leur adresse électronique ou postale pour des contacts futurs. Un compte-rendu sera adressé, à toutes fins utiles, aux personnes publiques ou privées ayant des responsabilités dans la cité telles que, par exemple :
Les communes du canton de Bourg St Maurice
La Maison de l’Intercommunalité de Haute-Tarentaise
L’APTV (Assemblée de Pays de Tarentaise Vanoise)
Le CLD (Conseil Local de développement) – assemblée de démocratie participative instaurée auprès de l’APTV.
La Cité Scolaire de Bourg St Maurice
Les écoles primaires et maternelles du canton
Les services sociaux
L’association « Coup de Pouce »
Les autres associations de la commune et du canton