mardi 24 septembre 2013

Pierrette BERARD ! la boulangère des "Bréviéres "

Au détour de l'avenue Antoine Borrel, à l'enseigne des ambulances Bérard, André nous avait réservé, en exclusivité pour notre blog, une bien belle rencontre avec " la boulangère des Bréviéres" ...C'était en mars 1952, EDF, lâchait ses vannes et de submerger à jamais le "beau village de notre enfance! l'outil de notre métier ! " cette vague déferlante insensible,  n'a jamais eu la puissance d'effacer notre mémoire.

   Avec le temps ... Avec le temps ! Tout s'en va ! chantait le poète !
Avec le temps Pierrette BERARD, et ses 93 printemps avait besoin de livrer ses émotions à l'heure de souvenir de l'engloutissement de la vallée à la suite de la construction du barrage de TIGNES. Elle voulait graver dans la mémoire du temps ce mois de mars 1952 ou il a fallu fermer à jamais les portes de cette boulangerie-épicerie-bar, avec précipitation alors que l'eau du barrage mordait les premières marches du seuil  de leur commerce...et pourtant:
" ...Nous avions avec mon mari René, construit une vie initiée par mes parents dont ma mère "la Tomaline " Madame Bérardo " véritable colporteur de courage. Elle avait guidé nos pas pour avoir, un jour d'une débâcle côté italien, obliger mes parents à passer de l'autre côté du col du col du Petit Saint Bernard , pour vivre, survivre ils ont quitté leur terre nourricière italienne devenue pays de misère et de tenter l'eldorado en France en franchissant le Piccolo San Bernardo !
" Quelle était belle cette sortie de la messe du dimanche où les gens des bréviéres et de Tignes le Lac se retrouvaient dans les bars alentours! Nous avions cette chance de fabriquer ce bon pain du pays tignard, notre épicerie proposait tout ce que chacun avait besoin, le bar était le comptoir des nouvelles du front, avec maman nous cuisinions ces plats faits de Polenta, de soupes avec ce fromage local tant prisé ! Les hôtels étaient florissants, les téléskis tournaient à plein régime ! Nous vivions au rythme du frémissement du tourisme !
  Des millions de M3 d'eau, une chape de plomb ! Une dalle inhumaine..
          ...rien n' a pu  engloutir la mémoire du temps des tignards !

" Tous ces souvenirs m'appartiennent, rien ni personne ne peuvent gommer ces années, Tignes le Lac, les Bréviéres, c'était notre vie ! C'est là que les racines sont plantées, même encore aujourd'hui, personne ne peut les arracher. Quand je revois les images de ma vie auprès du monument aux morts de Tignes et ses chaînes qui entouraient le mausolée ! Quand j'entends les bruits de la charrette tirée par le cheval qui livrait le pain à Val d'Isère ! Quand le nom de famille des BOCH sonne dans ma tête !  " L'émotion de Candide ..pardon de Pierrette était à la frange de ses cils...' Ah ! Je me rappelle de ce dernier jour ou nous avions préparé un repas du dernier soir avant l'immersion ! Un silence venait de s'installer Pierrette donnait de l'émotion à ses récits.
                       C'était quelque part le repas des adieux !
Je me souviens !... Ce mot revenait souvent dans la gorge, dans les yeux, dans la mémoire de Pierrette. ..Aux bréviéres nous avions tous les soirs des veillées, à tour de rôle dans les chaumières de tous les bonheurs. Nous étions là à nous donner des nouvelles de ce nous savions ! le feu dans la cuisinière donnait de la chaleur aux mots...C'était notre journal à nous.."Les dernières nouvelles du lac !" Alors de Jean-Raymond à Alexis, de Joseph à René il fallait que tout le monde sache tout ! Pendant ce temps Pierrette coupait et tranchait ces belles lamelles de lard que chacun savourait avec une lampée de cette boisson tirée des barriques rangées dans la grange !
"Demain nous irons à Villard les Bréviéres...C'est la traite des vaches, nous aurons ce nectar qu'est le lait chaud ! ...Oui... celui qui sort du pis des tarines !"
                           Une belle enfance avec ce bout de rien !
La lumière venait toujours du regard de Pierrette, le temps s'écoulait sous ses pupilles tirées à la source des gorges de l'Isère. Ce bleu glacier était quelque part insoutenable ! Oui ! insoutenable tant la ferveur, la réplique, la sérénité de Pierrette étaient aux antipodes de la souffrance vécue ! Pierrette? Une femme qui a su passer au dessus de la vague déferlante, Pierrette une femme exceptionnelle de sa mémoire du temps, de sa qualité à dominer l'espace ! Pierrette une femme qu'il nous a fallu quitter, nous détacher d'elle ! Comme un respect que nous devions honorer ! ...Un bruit de briquet ...Une cigarette après le repas... Aller faire dormir ses yeux ! La recette de longévité de Pierrette ? "aucun excès, tout a été gourmandise avec modération !  Et puis j'ai la chance d'être  entourée de mes enfants ! Petits enfants  ! "Je suis heureuse à la maison de retraite Saint Michel à Bourg Saint Maurice ! J'ai ce lien affectif avec mes enfants et toute ma famille, je ne suis jamais seule ..."

Pierre VILLENEUVE