Assurance-vie et succession
Assurance-vie et succession : héritiers contre bénéficiaires favorisés
Face
à un parent ayant utilisé l'assurance-vie pour favoriser telle ou telle
personne (primes exagérées), la réserve héréditaire reste un rempart
protecteur pour les héritiers. À condition d'en bénéficier !
L'assurance-vie, placement préféré des
Français, est aussi un vecteur de transmission patrimoniale très utile
en raison de son traitement fiscal à part (notamment, exonération de
droits de succession possible jusqu'à 152 500 €), un avantage qui permet
de gratifier des proches (même non-parents) dans des conditions
optimales. Mais, pas sans limite... Des règles existent afin de protéger
les héritiers légaux, qui bénéficient de droits réservataires dans la
succession du souscripteur du contrat. La notion de « primes
manifestement exagérées » leur permet, en principe, de faire valoir
leurs droits sur l'héritage lorsqu'ils sont bafoués.
Les primes exagérées : un critère relatif et assez flou
Au décès de l'assuré, le capital (ou la rente)
versé à un bénéficiaire déterminé ne fait pas partie de la succession,
et n'est donc soumis, ni à la règle du rapport à la succession, ni à la
règle de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du
contractant (article L. 132-13 du code des assurances). « Un père de
famille qui décide de transmettre une part importante de ses avoirs à sa
femme de ménage peut souscrire un contrat d'assurance-vie en la
désignant comme bénéficiaire », rappelle Barbara Thomas-David, notaire à
Paris. Toutefois, ce statut d'exception peut être remis en cause sur
demande d'un ou plusieurs héritiers, s'il(s) prouve(nt) que les primes
étaient « manifestement exagérées ». Le code des assurances ne
définissant pas cette notion, c'est la Cour de cassation qui a fixé les
critères de l'exagération, en laissant aux juges de première instance et
d'appel le soin de les mettre en oeuvre. Elle a d'abord mis l'accent
sur un critère de proportionnalité : ne sont pas exagérées les primes
qui ne sont pas hors de proportion par rapport à la fortune et/ou au
train de vie du souscripteur. A contrario, ont pu être jugées
excessives, par exemple, des primes dont le montant était très
sensiblement supérieur aux revenus perçus par le souscripteur sur la
période considérée ou, dans une autre affaire, une prime représentant
environ la moitié du capital du souscripteur. Au cas d'espèce, la prime a
été jugée « manifestement exagérée » parce que le souscripteur avait
des revenus modestes, et que la souscription du contrat ne présentait
aucune utilité financière personnelle pour lui. Son seul intérêt (but
recherché) résidait dans le mode de transmission du patrimoine. Depuis
2004 (plusieurs décisions de la Cour de cassation), cette notion
(d'absence) d'utilité financière du contrat pour le souscripteur est
devenue l'élément clé dans l'appréciation du caractère exagéré des
primes par les tribunaux. Si le contrat est jugé « inutile » pour le
souscripteur (par exemple : contrat ouvert à l'âge de 86 ans), des
primes importantes peuvent être considérées comme excessives. À
l'inverse, si l'assurance-vie est jugée « utile », les primes ne sont
pas considérées comme excessives, même si elles sont assez élevées. « En
pratique, pour que le contrat soit jugé utile, il peut suffire que le
souscripteur prévoie d'exercer son droit de rachat partiel en vue
d'obtenir des revenus complémentaires, par exemple pour améliorer sa
retraite », observe Barbara Thomas-David.
La réserve héréditaire reste un solide rempart...
Malgré tout, la réserve héréditaire dont
bénéficient les enfants ou le conjoint existe toujours dans notre
droit... et ces héritiers peuvent s'en prévaloir en cas de primes
excessives. C'est ce qu'ont réaffirmé les notaires lors de leur Congrès
de Montpellier en 2012. « La réserve a une fonction protectrice contre
les excès de la liberté individuelle ! », résume Barbara Thomas-David.
« Si j'ai un seul enfant et que je place tout mon patrimoine en
assurance-vie avec comme bénéficiaire à 100 % la SPA, par exemple, il
est à peu près certain que mon héritier légal pourra invoquer avec
succès la notion de primes manifestement exagérées, pour faire valoir
son droit réservataire sur la moitié de mes biens », illustre Philippe
Baillot, professeur associé à l'Université Paris 2. Il faut toutefois
préciser que lorsque l'exagération est reconnue en justice, c'est
seulement la part exagérée des primes qui est soumise au rapport et à la
réduction, et non le montant total des primes versées.
Remarque :
Et s'il n'y a pas d'héritiers réservataires ?
La protection des héritiers ne peut jouer que si ces derniers ont un droit à faire valoir, c'est-à-dire s'ils bénéficient d'une réserve héréditaire. À défaut (en l'absence d'enfant ou, pour un souscripteur sans enfant, en l'absence de conjoint), les héritiers (frères et soeurs, par exemple) n'ont pas de recours contre le bénéficiaire qui reçoit le capital stipulé au contrat : un homme veuf et sans enfant peut, sans risque, avantager qui il veut par le biais d'une assurance-vie : cousin, petite-nièce, ami(e) de la famille...
La protection des héritiers ne peut jouer que si ces derniers ont un droit à faire valoir, c'est-à-dire s'ils bénéficient d'une réserve héréditaire. À défaut (en l'absence d'enfant ou, pour un souscripteur sans enfant, en l'absence de conjoint), les héritiers (frères et soeurs, par exemple) n'ont pas de recours contre le bénéficiaire qui reçoit le capital stipulé au contrat : un homme veuf et sans enfant peut, sans risque, avantager qui il veut par le biais d'une assurance-vie : cousin, petite-nièce, ami(e) de la famille...
Décision favorable à la souscription conjointe
Monsieur X souscrit un contrat d'assurance sur
la vie en 1988, auquel son épouse, Madame X, adhère conjointement en
1995. Après le décès de Monsieur X en 1999, sa veuve désigne comme
bénéficiaires à parts égales ses sept petits-neveux et nièces, et fait
un versement complémentaire. À son décès en 2003, les bénéficiaires
reçoivent leur quote-part en capital. L'administration fiscale leur
réclame des droits de succession comme si le contrat avait été souscrit
en 1995 (lors de l'adhésion de l'épouse), donc avec un abattement limité
à 30 500 € pour les primes versées après 70 ans. Argument du fisc : en
1995, il y a eu « novation », c'est-à-dire extinction de l'obligation
initiale remplacée par une nouvelle obligation du fait de la
souscription conjointe. Aux yeux de l'administration, ce serait donc le
régime fiscal applicable aux contrats souscrits depuis le 20 novembre
1991 qui s'appliquerait..., défavorable en l'espèce aux bénéficiaires
concernés. Mais la Cour de cassation rejette cette thèse (cass. civ. 1re
ch., 19 mars 2015, n° 13-28776). Selon elle, il n'y a pas eu de
« novation », mais seulement « l'ajout d'un rapport d'obligation
complémentaire » entre l'assureur et Madame X. Conséquence : c'est la
fiscalité des contrats souscrits avant le 20 novembre 1991 qui
s'applique (prélèvement de 20 % après abattement de 152 500 € même pour
les primes versées après 70 ans). En l'espèce, les sommes reçues par
chacun des bénéficiaires étant inférieures au montant de l'abattement,
aucun droit n'était dû.