SEEZ –
A l’heure du brame du cerf, entre fusil et lunettes que le combat soit digne.
Si, depuis longtemps, l’homme a donné aux grands cerfs le surnom de « fantômes de la forêt », ce n’est certes pas par hasard, mais en hommage à leur étonnante faculté de disparaître, c'est-à-dire de se rendre invisibles et insonores. Invisibles, quoique leur stature soit des plus remarquables ; et insonores, que leur organe vocal soit des plus puissants. Mais la prudence leur étant venue avec l’âge, ils ont compris que le silence est d’or…sauf depuis quelques jours à l’heure du brame dans la forêt des Bochéres.
En effet depuis quelques jours la vallée de la Haute Tarentaise est secouée par ce réveil cyclique de l’amour : Plus question de se taire et de se terrer ! L’heure est aux défis, aux parades, aux combats, aux poursuites, aux rapts, aux conquêtes, aux étreintes : tout le remue ménage est dans le rut. Ici tout se renifle, chaque odeur est un signe avant coureur à l’heure où la nature s’endort laissant glands, champignons et moisissures. Dans la forêt tout est exaspération du désir et la privation de plaisirs fait perdre la tête aux cerfs sinon leurs bois.
Que la forêt est belle :
Avec ces cerfs, ces biches, ces daguais, ses faons.
Ainsi à cette période où la lumière laisse la place à l’ombre : c’est la cervaison. Quelle élégance sous leurs bois, quel charme auprès des biches. La saison du brame est un moment fort pour les chasseurs certes mais aussi par celles et ceux qui, le soir venu, se rendent aux limites du supportable et d’écouter sinon voir ces moments prenants, palpitants, envoûtants, qui font trembler la forêt, la secoue jusque dans ses recoins les plus impénétrables de St Germain, à Cottier, du Mont aux Villards.
« Les cerfs adultes optent pour la séparation de corps ! » Dans ces clairières au clair de lune les suitées se méfient, les biches de têtes restent meneuses, les cerfs, ces mâles incontrôlables, chargent tout ce qui bouge comme ces hardes, tout en rotant par saccades. « Et oui la sève ne monte plus, les jours raccourcissent, les gagnages se font rares » C’est bien le temps de la muse, le rut est insupportable, leurs mues les abandonnent.
A la lisière des prairies attenantes le ballet infernal s’accomplit, la faim tiraille ces mâles fulgurants qui perdront jusqu’à 30 kg dans le mois, les pommes seront les bienvenues et tant pis si certains ne sont pas contents.
Il faudra bien que la nature accomplisse son cycle des amours.
Pourtant les fusils et les lunettes ne relâchent pas leur étreinte « même si durant la période de raire, les cerfs ne peuvent être chassés, alors que les biches resteront vulnérables. Le combat doit être loyal. Il doit y avoir du respect dans ce combat. Le chasseur doit savoir baisser son canon quand la poursuite infernale est égale et ne doit pas avoir au bout de sa lunette des idées en forme de boites de conserves ! » Diront des chasseurs, à observer à la jumelle, du Châtelard, cette bête sauvage introduite en Haute Tarentaise par eux-mêmes en 1960.
« Tiens regarde, dit il, Un beau dix huit cors et son harpail ! ». Sa ramure était puissante, le grand coiffé labourait le sol, tout en effilochant l’herbe, son merrain appelait la dignité ! Campé sur son aire de brame il éloignait sinon décourageait les velléités des autres qui se vautraient plus loin dans une ornière.
Allez donc tous les soirs assister à la période de raire
Bientôt nous entendrons au plus prés des abords de la forêt des Bochéres ces 400 cerfs qui vous feront frémir. Ils se battront toutes les nuits pour conquérir « la plus belle pour aller dans Séez », dans un amour délirant, fou. Les saillis s’accompliront, la forêt retrouvera sa sérénité, la chasse reprendre ses droits. « les cerfs de Bourg St Maurice et ceux de Séez tomberont sous les balles ! Conformément au plan de chasse, bagues à la patte oblige ! » Pourvu que le combat soit digne, que la noblesse l’emporte. Le gestion de la meute, du troupeau, du comptage, tout cela reste nécessaire dans une sélection et non dans un acharnement, la beauté doit l’emporter et non la lâcheté tout en bannissant cette formule « Il faut aller au cerf ! »
Pierre Villeneuve