dimanche 31 août 2014

DEVOIR DE MEMOIRE..31 AOUT 2014...PAUL VEILEX..UN HOMME...UNE HISTOIRE...UN COMBATTANT!



Une école bi-langue 
.......malgré elle.

Après une saison en alpage du côté du Prarion et du Clapet, la période était assurément incertaine. Le poste TSF ou à Galène, diffusait des informations bien alarmistes. C’était l’été 1939, les foins avaient été généreux, les barillons gonflés des senteurs de gentianes, de violettes et bien d’autres essences…celles qui font chanter encore  le fromage dans les caves d’affinage.
Chacun était inquiet aux prémices de l’automne… Et puis le 4 septembre 1939 l’Allemagne déclarait  la Guerre.
Paul était pourtant allé à l’école de Villard Dessus, tout comme Lucie à la primaire de Saint Germain. «  à l’époque il y avait 2 classes avec 20 à 25 élèves par classe. L’instituteur des grands était Mr Favre alors que son épouse s’occupait des petits. »
 Et puis Mr Favre a été mobilisé avec le 13éme BCA, il est parti à Narvik… «  Il pleurait en nous disant au revoir ! » alors que son épouse prendra en charge les 2 classes ! Dans les yeux des parents et des anciens on voyait bien que l’angoisse était de tous les instants, l’ambiance était morose. Après la démontagnée, les tarines étaient enfin à l’étable, comme une fin en soi, comme une drôle d’histoire qui n’a pas de fin.
Le 11 juin 1940, l’Italie déclarait la Guerre à la France. «  il a fallu quitter rapidement l’école à Villard Dessus. Nous sommes partis précipitamment, évacués en Haute-Loire à…Rosière, à 5 km du Puy en Velay, avant de revenir fin août 1940 » précisera Paul.
Le temps de retrouver sa maison, sa ferme et de constater les dégâts, l’école de Villard Dessus a réouvert ses portes. « 3 jours avec les instituteurs français avec Marthe Bigiex pour les petits et Mlle Yvonne Bouquet pour les grands. Les salaires des instituteurs italiens et français étaient assurés par les italiens…Il fallait en passer par là !  Pour les 2 autres jours nous avions une institutrice italienne  Mlle Villaz Simoné qui avait accroché un Christ dans les salles de classes. Elle venait de Morgex et habitera Séez avec ses parents dont le père Oreste avec sa mère  tiendront une épicerie alimentation. Ce magasin se tenait en lieu et place de la maison des époux Vaser ! » .
Pendant les cours en italien, les institutrices françaises vaquaient à leurs occupations, écoutaient, surveillaient les enfants sinon préparaient les leçons ou corrigeaient les devoirs. «  Nous avions un livre de  grammaire en italien, c’était un gros livre rouge et grenat ! » précisera Lucie.
« La couverture des cahiers comportait des images fortes pour apparemment nous conditionner, nous impressionner, comme des tanks, des chars d’assaut, des avions de guerre, des fusils et des mitrailleuses ! » ajoutera Paul.


                 
          L’Ecole de VILLARD DESSUS..Zone occupée !


Pour superviser cette occupation italienne, il y avait un directeur
qui contrôlait les 3 communes occupées : Montvalezan, Sainte Foy Tarentaise et Séez. « Les occupants italiens nous avaient obligés à faire le salut fasciste quand il entrait en classe et de nous dire « Bonjour les enfants ! ».
« Je me souviens qu’un jour, alors que les baraquements des valdotains se trouvaient prés de la maison de mes parents, je fis le salut fasciste au Lieutenant Cavagné de Cognes qui était instituteur dans le civil.   non… ne fait pas ça, me dit il, ! » En dépit des consignes qu’il avait reçues à l’époque des chemises noires de la jeunesse enrôlée par Mussolini.
Ainsi ce lieutenant m’apprit qu’en Italie la jeunesse italienne était plus connue sous le nom de « Ballila » et qui déjà, dans les cours d’école, recevait une éducation au même titre et dans les mêmes conditions que  les chemises brunes en Allemagne.
« A Noël 1940, les italiens ont essayé de nous amadouer en nous offrant des cadeaux. Moi j’ai eu un avion à ressort  qui volait en tournant une clé, ma sœur Noëlla a  reçu une poupée. Dans la corbeille il y avait des oranges, des mandarines, des sucreries, nous étions sous le charme…. »
« Parfois nous allions nous promener à Sainte Foy Tarentaise ..on était en terre italienne ! Ma mère n’était pas très contente de cette scolarisation car j’avais, comme tout le monde, des poux dans la tête ! En levant les yeux nous étions heureux de voir les avions chasseurs ou bombardiers  qui venaient de Grande  Bretagne et qui se dirigeaient vers Turin…Nous étions fin 1942, début 1943…les bombardements sifflaient .
Un jour il a fallu quitter l’école de Villard Dessus, les italiens étaient entrain de l’occuper. C’est ainsi que nous nous sommes repliés dans le bâtiment du père de Christiane Michel, chez Mr Bodinier.
Avant de partir je suis allé essuyer le tuyau du poêle à bois à la demande de la maîtresse..il y avait écrit «  Vive la France », j’ai aussi caché mon cahier pour y avoir dessiné, sur la 1ére page, un très beau dessin «  de la Redoute Ruinée » lieu où les italiens avaient essuyé une belle défaite ! »
En sortant de la classe, le temps de traverser la route, juste au dessus de Val Joli, je me souviens de la réflexion du directeur italien qui contrôlait notre transfert, s’adressant à Gaby Sourd «  tu as les mains biens noires ! »
En effet, tous les jours, l’ensemble des élèves des deux classes devait montrer leurs mains avant d’entrer en classe. La réponse de Gaby fut cinglante : «  ces mains noires qui font du pain blanc ! »
A la fin de l’année scolaire 1942 – 1943, était venu le temps de passer le Certificat d’Etudes Primaires. Tous les élèves se sont donc rendus au rez de chaussée de la mairie de Séez actuelle.
Pour ces épreuves, ce sont les instituteurs de Maurienne  ( Bessans, Lanslebourg, Lanslevillard) qui étaient  venus contrôler les épreuves, alors que pour cette même épreuve en Maurienne, c’étaient les instituteurs de Villard Dessus qui se déplaçaient là bas.
Après une journée d’épreuves et toutes matières confondues, les diplômes ont été remis aux élèves admis…Les deux meilleurs étaient à l’honneur …Ils s’appelaient Lina Mouska, une russe réfugiée à Saint Germain et un certain…Paul Veilex
Ainsi Lucie et Paul ont bien  voulu nous  montrer ce cadre avec ce Certificat d’Etudes Primaires rédigé en italien. Un moment certainement difficile, un moment fort, extrait de leur intimité. Ce moment vécu n’appartient pas qu’à l’histoire. Il est inutile de penser que tout a été enfoui, oublié, classé.

              L’Ecole de la République retrouve la laïcité


« Le 8 septembre 1943, l’Italie capitulait, les italiens venaient de tourner leur veste ! »
Ce jour 11 décembre 2006, le silence s’est installé dans la pièce, les rayons de soleil ont quelque peu sauvé la situation. La brume s’est installée sur le front et le regard de Paul, les yeux de Lucie mais aussi de Paul, étaient anormalement brillants…La blessure était encore tenace.
L’école a été assurément un élément catalyseur. Elle a permis à ces enfants de Villard Dessus de vivre, d’être un lieu de repli. Au delà des évènements retenons donc la magie de l’ école et son pouvoir surnaturel….(pardon pour cet mot )
Ainsi Lucie et Paul ont construit, certes inconsciemment, un de ces chemins de la mémoire, ils ont pansé ces blessures, la cicatrice fait quelquefois encore mal. Je suis fier d’avoir pu écrire ce passage de leur vie, cette vie passée à la lisière d’eux mêmes. Je sais que ce texte est la construction personnelle d’une page, j’en connais sa richesse, sa profondeur, son intime.

                          Commentaires personnels
                                                                                      
Ce besoin de mémoire est né d’un besoin d’éclaircissement des zones d’ombre du passé. Ma peur est toujours à fleur de peau de voir partir ( mais ça ne presse vraiment pas !) des hommes et des femmes qui sont une bibliothèque vivante et qui connaissent des faits écrits nulle part. C’est essentiel d’aller à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qui détiennent au fond de leur mémoire des faits uniques. Au travers de ces écritures c’est la seule façon de se comprendre et donc de vivre ensemble…L’absurde demeure dans les malentendus !
Alors nous nous sommes posés les grandes questions des enjeux de la mémoire, comment la mémoire nous parvient elle ?  Quel rôle pour l’histoire ? Y a t il des mémoires oubliées ? de quoi se souvient on ?
Je reste intimement convaincu qu’il est encore temps d’emprunter avec les enfants des écoles ces chemins de la mémoire, que Lucie et Paul ont parcourus. Profitons de ces moments forts pour inviter Paul et Lucie autour d’un banc d’une classe pour nous parler de ces temps pas si lointains. Leur courage, leur attachement à la terre sauvage que ces gens de là haut tentent d’apprivoiser, sont à méditer afin de garder le sens de leurs mots, de s’imprégner de leurs regards,  de lire dans leurs rides, de caresser la rugosité de leurs mains qui sont une bien douce caresse.
( Merci à vous Lucie, merci à toi Paul Veilex, qui nous observe entre deux nuages, merci d’avoir eu cette humilité d’avoir ouvert un espace de votre vie.)

Pierre VILLENEUVE